Servir le vin à bonne température
Révélatrice de ses caractères sensoriels, l’action de l’alcool contenu dans le vin doit être maîtrisée en température afin qu’elle s’effectue à bon escient. En effet, on sait par expérience qu’un vin servi trop froid n’exhale pas grand-chose et qu’inversement un vin trop chaud laisse planer une sensation d’alcool. Il en est de même pour les perceptions tactiles et gustatives qui pâtissent dans les deux extrêmes. Pour éviter ces déconvenues, seules des conditions optimales de service révèlent les justes qualités d’un vin. Suivez le guide…
Rouges sur le fruit, fraîcheur à tout prix !
A proprement parler, la notion de vin rouge sur le fruit ne répond pas à une catégorie aux critères bien définis, mais sous-entend en l’occurrence des expressions mettant en exergue un caractère fruité. Afin d’éviter toute glose destinée à les cerner, citons simplement l’archétype le plus évocateur de ce genre : le Beaujolais, et par extension des rouges issus de gamay. Elaborés pour être bus jeunes, voire très jeunes comme vins nouveaux, ils doivent d’emblée séduire et le font grâce à leur fruité et leur souplesse. Charmeurs et gouleyants, on les qualifie volontiers de vins de soif, ce qui souligne une vocation désaltérante qu’ils satisfont au mieux à condition d’être servis légèrement frais. Par-là, on entend un service à 13°-14°C, les rouges primeurs étant mieux appréciés à 10-12°C.
A cet ensemble, on peut rattacher bien des vins procédant d’une même conception, où le fruit prime l’expression, dits parfois « croquants », légers de corps et peu structurés. Bien des rouges en IGP s’inscrivent dans ce profil, tandis qu’en AOC, ils s’incarnent dans des cuvées génériques, accessibles sous tout rapport et obéissant à une tendance où les cépages de référence sont interprétés dans ce sens. Ainsi, lorsqu’ils sont transfigurés en cépages gourmands, merlot, syrah, cabernet franc, entre autres, méritent un coup de fraîcheur pour être pleinement savourés.
Pour le rouge, vous avez dit chambré ?
Bien que le qualificatif chambré soit suranné, il n’est pas complètement sorti du langage contemporain, et pour cause, il garde un petit air de nostalgie sur une époque où la température de l’espace domestique était sans doute adéquate avec le service d’un rouge de choix. Quoi qu’il en fût, de nos jours une unanimité se fait autour du bon degré pour honorer la dégustation d’un vin rouge, qu’il soit modeste ou prestigieux. Ainsi, mis à part l’univers des vins ostensiblement fruités, on convient qu’une température de l’ordre de 16°C comme la plus indiquée pour humer et goûter un rouge dans sa toute son expression.
Bien entendu, on admet une petite tolérance de part et d’autre de ce chiffre, mais elle se limite seulement à un ou deux degrés. Disons que des températures dans l’intervalle 15°-18°C permettent d’englober tout l’éventail des rouges. La limite basse (15°-16°C) est recommandée pour des vins par nature moins structurés, à l’exemple des Bourgogne, auxquels on peut joindre les rouges de Loire issus de cabernet franc (Bourgueil, Chinon, Saumur-Champigny). La tranche intermédiaire (16°-17° C) sera plus seyante à des crus puissants, typiquement ceux de la vallée du Rhône et évidemment à l’ensemble des rouges du Languedoc-Roussillon.
Lorsque les tanins sont plus affirmés, à l’instar de ceux des Bordeaux, a fortiori médocains, on attend que le thermomètre monte à 17°-18°C pour les servir. On suit cette règle pour des expressions également structurées, notamment lorsqu’elles contiennent du cabernet sauvignon, même issues de Napa Valley ou de Toscane. Pour autant, les 18°C ne constituent pas un seuil infranchissable pour qui veut se délecter des charmes d’un vin évolué, pour ne pas dire vieux. Dans ce chapitre des impressions rares, la liberté est de mise, quoique les 20°C seraient un cap à ne pas franchir au risque de fleurer des sensations par trop éthérées.
En blanc, la catégorie prime
Dans ce chapitre, nous avons adopté l’adage disant que le froid cache les défauts pour avancer qu’un vin blanc digne d’intérêt ne mériterait pas d’être servi à moins de 8°C. C’est d’ailleurs la température préconisée pour le champagne, bien qu’on admette que les cuvées plus sélectes se délectent mieux à 10°C, voire même un peu au-dessus pour de vieux champagnes (type Bollinger RD, Dom Pérignon Œnothèque), sans toutefois excéder les 12°C. La fourchette de 10°-12°C constitue d’ailleurs le pivot de référence pour une majorité de vins blancs secs, qu’ils soient vifs et alertes comme un Muscadet, ou délicats et parfumés tel un Sancerre.
Ces conseils valent pour les effervescents produits par la même méthode que les champagnes, comme les crémants, ainsi que pour une majorité de vins blancs secs. A l’opposé et à l’instar des belles cuvées de champagne, les blancs les plus réputés s’épanouiront à une température un peu plus élevée, pouvant aller jusqu’à 14°C. Ce dernier conseil vaut à l’évidence pour les grands Bourgogne et leurs équivalents d’autres régions, comme les blancs de Pessac-Léognan.
Concernant les blancs doux et liquoreux, leur teneur en sucre devrait décider de leur service, avec en théorie un decrescendo de la température à la mesure du crescendo de leur richesse en sucre, l’action du froid atténuant la sensation de douceur. Cependant, cette règle n’est pas applicable à la lettre, car à la suivre, on devrait boire un Sauternes frappé ! Dès lors, on adopte un compromis thermique qui a pour avantage de contenir leur nature douce tout en profitant du complexe affriolant de leur palette fruitée. Ainsi, une température de l’ordre de 10°C permet d’atteindre une forme de nirvâna.
Maintenir la température : primordial !
Qu’elle que soit la température préconisée pour un vin, on oublie d’ajouter qu’elle doit impérativement être maintenue pendant tout la durée de sa consommation, qui peut être le temps d’un repas. Or, les températures des pièces ou des espaces de vie, a fortiori les extérieurs, auront vite fait de réchauffer les vins et d’altérer leurs qualités sensorielles.
Si le fameux seau à glace est une solution pour garder les vins à température, celle-ci ne vaut que pour ceux ayant vocation à être servis bien frais, et demande surtout une vigilance de tous les instants, au risque de les servir frappés, c’est-à-dire juste sortis de leur immersion dans de la glace pilée. Dans ces conditions, une précaution s’impose, celle de se garder des degrés trop bas procurés par la méthode, car à 6°C et en dessous, les arômes sont anesthésiés et le goût rigidifié à outrance.
Tout compte fait, le moyen le plus satisfaisant pour respecter les températures de service reste le rafraîchisseur, un dispositif accueillant ou enveloppant une bouteille, conçu pour stabiliser sa température. Il en existe de différents types, mais tous s’accordent sur le principe : faire en sorte que le degré initial ne s’élève que très progressivement, de manière à être maintenu pendant un laps de temps qui peut excéder une heure. Certains d’entre eux contiennent un gel ou un élément réfrigérant qui, moyennant un séjour dans un congélateur, a le pouvoir de refroidir rapidement le vin. Les plus sophistiqués d’entre eux utilisent l’effet thermoélectrique pour remplir leur fonction, avec la possibilité de régler précisément la température. Cela dit, l’accessoire le plus économique et le plus « écolo » reste le récipient en terre cuite, dont la matière fait effet d’isolant naturel.