La magie des liquoreux

La magie des liquoreux
22 août 2022 11 vue(s) 7 min de lecture

La magie des liquoreux

La robe dorée d’un Sauternes qui scintille comme de l’or dans un verre, son bouquet suave et son corps voluptueux font de ce vin un nectar qu’un passé a glorifié davantage que ne le fait notre temps. Récolté grain par grain par des mains habiles, patiemment vinifié et élevé, ce liquoreux du bordelais reste, avec son « alter-ego » Barsac, le plus prestigieux du genre. Qu’ils soient dans leur proche horizon ou dans des parages plus lointains, d’autres vignobles partagent l’insigne privilège de pouvoir muer des raisins gâtés en élixir. 

 

 

Le phénomène de pourriture noble

 

Le paradoxe des liquoreux tel le Sauternes vient de ce que ces vins pour le moins envoûtants naissent de raisins passablement altérés. C’est pour cette raison qu’on utilise l’oxymore pourriture noble pour qualifier cette altération portant le nom savant Botrytis cinerea. Il s’agit du même champignon agent de la pourriture grise, une maladie de la vigne tant redoutée des vignerons pour les pertes en raisin qu’elle occasionne, voire même de vin, lorsqu’elle affecte la vendange. Contrairement à la pourriture noble qui est recherchée, la moisissure grise est combattue.

 

Complexe dans sa microbiologie, le métabolisme de Botrytis cinerea atteint ce stade espéré lorsqu’il se développe dans des conditions atmosphériques extrêmement particulières. Ainsi, la pourriture noble s’installe dès lors que se conjuguent temps humide et temps sec à un rythme journalier. Ces conditions se réalisent de manière optimale lorsqu’alternent des brumes ou des brouillards matinaux avec un temps ensoleillé en journée. Il se produit alors un phénomène de dessication des raisins, qui provoque le flétrissement de leur peau et concentre leur richesse en sucre. Il apparaît en automne dans des secteurs géographiques privilégiés par la présence d’un cours d’eau, doublée du microclimat qui le permet. C’est ce miracle qui se produit à Sauternes grâce au Ciron, une petite rivière affluent de la Garonne. Parler de miracle n’est pas qu’une métaphore, puisque les années partiellement ou totalement déficientes en pourriture noble font qu’on n’y produit pas de liquoreux.

 

 

Comment s’obtient un vin liquoreux ?

 

Lorsque les conditions météorologiques sont réunies et que Botrytis cinerea commence à s’installer, on récolte les raisins à mesure de l’avancée de leur dégradation. On appelle cela une vendange par tries, une opération délicate qui demande un véritable discernement dans l’appréciation de l’état des baies. Son calendrier débute dès lors que les raisins dépassent le stade de leur maturité, généralement à la fin septembre dans le Sauternais, où elle se poursuit jusqu’à atteindre parfois début novembre. Plusieurs tries dans les vignes sont donc nécessaires pour récolter tout leur potentiel, pouvant aller jusqu’à une dizaine dans ce même vignoble. Il faut savoir que tous les cépages ne sont pas enclins à bénéficier de la pourriture noble, les plus doués pour muer des baies flétries en élixir étant le sémillon (Bordeaux – Sud-Ouest), le chenin (Loire), et le riesling et le gewurztraminer (Alsace).

 

La vinification d’un vin liquoreux s’apparente à celle d’un vin blanc sec à la différence près que la grande richesse en sucres des raisins botrytisés fait que la fermentation de leur moût ne s’accomplit pas entièrement. En effet, seule une partie des sucres se transforme en alcool, faisant que le vin obtenu en contient encore pour préserver un caractère très doux. Afin de maîtriser ce processus et trouver l’équilibre organoleptique propre à chaque type de liquoreux, on ajoute du soufre pour arrêter l’action des levures à l’origine du processus de fermentation. Cette opération est appelée mutage.  

 

 

Sauternes & Barsac

 

Les aires de ces deux appellations se côtoient, séparées qu’elles le sont par la rivière Ciron ; le vignoble de Barsac occupant sa rive gauche. Malgré cette distinction géographique, une disposition légale permet aux vins élaborés sur Barsac de bénéficier de l’appellation Sauternes. Il faut dire qu’elles partagent le creuset formé par la vallée du Ciron, foyer rêvé de la pourriture noble grâce au microclimat que son cours engendre à partir de l’été finissant. Cela dit, leurs sols diffèrent en ce sens où le terroir barsacais comporte des sables rouges argileux et sans relief notable, tandis que celui de Sauternes est campé sur des croupes argilo-graveleuses. Ces différences se perçoivent dans les vins, ceux de Barsac étant réputés fins et frais, tandis que leurs homologues sauternais sont qualifiés de puissants et corpulents.

 

En tout cas, l’histoire les a rapprochés, puisque le fameux classement de 1855 les a réunis en répartissant les châteaux entre Premiers et Seconds Crus, ceux du Sauternais occupant en majorité le haut de la hiérarchie. Leur superficie les distingue également, le vignoble sauternais étant deux fois plus étendu. Sur le plan cultural, ils partagent évidemment l’usage du sémillon, qui constitue la très grande majorité de leur encépagement. Sa sensibilité à la pourriture grise lui est ici providentielle, faisant que sa nature onctueuse atteint au faste lorsque la douceur s’y mêle, et que ses arômes gagnent un état de volupté. On le complète presque toujours de sauvignon et parfois d’une petite pointe de muscadelle, tous deux appréciés pour la sensation de fraîcheur qu’ils procurent aux compositions liquoreuses.  

       

 

Liquoreux d’ici et d’ailleurs

 

Outre sur Sauternes et Barsac, les miracles engendrés par Botrytis cinerea se produisent également sur l’appellation Cérons, située dans leur proximité, puisque son aire délimitée jouxte celle de Barsac. Sa situation géographique lui permet également de bénéficier des bienfaits du cours du Ciron, mais de manière atténuée, faisant en sorte avec ses liquoreux surpassent leurs homologues en fraîcheur. 

 

Dans le Périgord, voisin de l’Aquitaine et partageant les mêmes cépages, les brumes matinales de la vallée de la Dordogne sont également propices au développement de la pourriture noble. Là, le grand vignoble de Monbazillac produit des liquoreux légers, d’une moindre sucrosité, tandis que les plus riches d’entre eux ont droit à la mention « Sélection de Grains Nobles ». Situé dans son prolongement, celui Saussignac possède le même don, mais sans hiérarchie entre ses liquoreux, conçus uniquement lorsqu’ils sont accomplis dans cette catégorie.

 

Désignant des vins issus de raisins botrytisés, la qualification de « Sélection de Grains Nobles » se retrouve dans d’autres régions où l’on produit par ailleurs des vins doux, ainsi en Alsace où, comme c’est l’usage, les liquoreux doivent obligatoirement être le produit d’un seul cépage. En Loire, les Coteaux du Layon, voués aux douceurs, peuvent bénéficier de cette mention dans leurs versions les plus riches, tandis le tout petit vignoble des Quarts-de-Chaume Grand Cru est exclusif à des liquoreux ; son terroir qui surplombe le cours du Layon sublimant le chenin.

 

Grands pays de vins blancs, l’Allemagne et l’Autriche s’adonnent également à l’élaboration de ces nectars sous la dénomination équivalente de trockenbeerenauslese. Dans leur conception, ces vins privilégient nettement un rendu sur la douceur et parviennent ainsi au paroxysme de la richesse en sucre, tout en étant doués d’une acidité telle qu’elle parvient à créer une forme d’équilibre. Quant au fameux Tokaji Aszù de Hongrie, il s’agit d’un vin vraiment à part, issu d’une fermentation commune de vin blanc sec et de raisins botrytisées.   

 

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